Aujourd’hui, un petit commerçant chinois peut obtenir un prêt du géant du e-commerce Alibaba. Un jeune de Nairobi emprunte en un SMS quelques dizaines d’euros via son opérateur téléphonique. A moins qu’il ne se tourne vers une start-up indépendante qui utilisera algorithmes et big data pour évaluer sa capacité de remboursement. Demain, son prêt lui sera peut-être versé en cryptomonnaie.
En quelques années, le digital a fait irruption sur le marché des services financiers pour le bas de la pyramide. D’abord focalisée sur les paiements, l’innovation technologique gagne aujourd’hui le crédit et s’approche des terres des institutions de microfinance (IMF). Si la concurrence n’est pas (encore) frontale, pas question pour les acteurs installés de tourner le dos à ce mouvement. En témoigne Arnaud Ventura, fondateur et PDG de Microcred, rebaptisé en 2018 Baobab pour marquer ce virage : « Le digital permet d’aller plus loin dans l’amélioration de l’expérience client. C’est pourquoi il est au cœur de notre transformation stratégique ».
La généralisation des téléphones – voire des smartphones – dans la poche des clients permet d’accélérer les procédures et de réduire les frictions. Au moment de renouveler son crédit, par exemple. « Auparavant, un client devait repasser à l’agence, répondre aux mêmes questions, redonner des pièces justificatives. Aujourd’hui, ce renouvellement est automatiquement octroyé à certains clients, qui sont prévenus par SMS », explique le fondateur de Baobab. Le remboursement, lui aussi, va plus vite. Dans les pays où le mobile money est répandu, les clients règlent leur échéance sans se déplacer, depuis leur téléphone. En Chine, ce sera plutôt via WeChat, le système de paiement électronique du géant de la tech, Tencent.
Autre possibilité : développer un réseau de correspondants, en complément des agences. « Bien souvent, les retards de paiement viennent du fait que le client n’a tout simplement pas eu le temps de se rendre à l’agence, » explique Arnaud Ventura, qui est en train de déployer un tel réseau de correspondants. Ces derniers sont équipés de capteurs biométriques pour faciliter l’authentification des clients et se prémunir contre la fraude.
Pour les IMF, il s’agit également d’aller s’aventurer sur les terres de leurs nouveaux concurrents en développant une offre de crédit digital. C’est ce que teste en particulier Baobab avec son crédit Taka, octroyé automatiquement sur la base de l’historique de crédit et du comportement d’épargne du client. Celui-ci reçoit un SMS lui indiquant son éligibilité à un prêt qu’il peut décaisser immédiatement auprès d’un correspondant. « C’est un crédit de petit montant, de courte durée et flexible. Il sert à répondre à des besoins urgents nés de l’irrégularité des revenus de notre profil de clientèle. C’est un produit qui ne pourrait exister dans un modèle de distribution physique traditionnel », détaille Arnaud Ventura.
L’IMF revendique 100 000 crédits Taka octroyés lors du pilote sénégalais d’un an et le généralise dans l’ensemble de ses pays. Elle se prépare aussi à le distribuer via des partenariats avec des opérateurs téléphoniques. Un pari car, si l’IMF connaît parfaitement ses propres clients, il n’en ira pas de même de ceux qu’elle captera via ces partenariats. « Ce sera un enjeu pour notre taux de remboursement, mais il existe des manières de limiter le risque », analyse le dirigeant.
Les technologies digitales sont enfin de plus en plus utilisées pour optimiser les process de gestion des IMF. Des smartphones permettent aux agents de crédit de monitorer leur portefeuille de clients sans passer à l’agence. Des tablettes connectées au système d’information central permettent de renseigner une demande de prêt directement sur le terrain et de photographier les documents justificatifs. Ce qui réduit d’autant le temps de traitement en back-office et la perte d’informations. « La technologie aura un impact fort sur la réduction de nos coûts opérationnels », prédit Arnaud Ventura. Au point de permettre une baisse des taux d’intérêt de la microfinance tout en restant rentable ? « En théorie oui, mais nous n’en sommes qu’au début du chantier, analyse le fondateur de Baobab. A ce jour, elle a surtout permis des innovations de produits dans le paiement et le crédit d’urgence. Si demain, elle facilite aussi la collecte d’épargne, cela abaissera les coûts de financement. »
Ce sera l’enjeu des prochaines années : trouver la bonne recette pour que ces nouvelles technologies renforcent l’impact social de la microfinance, en la rendant accessible au plus grand nombre.
Séverine Leboucher
Journaliste pour Revue Banque