«W all Street effectue des opérations bancaires pour le monde, mais pas pour ses voisins. Nous sommes ici pour montrer qu’il n’y a rien de mal à réaliser des transactions bancaires avec ses voisins. » Passant de la parole aux actes, le professeur Muhammad Yunus, prix Nobel de la paix en 2006, a fondé la même année Grameen America (GAI), une institution de microfinance (IMF) qui s’inspire du succès de la Grameen Bank au Bangladesh. A l’époque, il fait le pari de faire fonctionner le modèle bangladais aux États-Unis.

Pourtant, on peut se demander s’il est possible de reproduire dans un pays développé, un modèle spécifiquement conçu pour répondre aux besoins des pays en développement. Après tout, comment une institution basée aux États-Unis, un pays avec des coûts élevés, peut-elle atteindre son seuil de rentabilité avec des taux d’intérêt plus bas et des coûts opérationnels plus élevés ?

Tel a été le pari audacieux du Pr. Yunus. La méthodologie appliquée par GAI dans ses 20 agences est la même qu’au Bangladesh : cinq femmes créent un groupe afin d’obtenir un microcrédit. Elles remboursent ensuite celui-ci lors de réunions hebdomadaires et alimentent également leurs comptes d’épargne personnelle. Malgré l’absence de garantie par un tiers, la pression sociale exercée par les autres clientes permet à GAI d’obtenir un taux de recouvrement élevé (la sinistralité, qui mesure les crédits passés en perte, se situe à seulement 0,2%).

Le taux d’intérêt effectif payé par ses clients est de 18%, taux relativement peu élevé compte tenu de l’absence de garanties réelles et du nombre important d’employés nécessaires à la tenue de réunions régulières. Les frais de personnel sont d’ailleurs légèrement plus élevés que les revenus des prêts. Pour compenser, GAI fait appel à la technologie pour réduire les coûts d’exploitation. L’acquisition de nouveaux clients permet également d’améliorer la pérennité financière : le pourcentage des charges d’exploitation couvertes par les intérêts gagnés a atteint 62% en 2017. Et ce n’est qu’un début puisque l’ambition de GAI est d’atteindre l’équilibre d’ici 2020.

Avant d’arriver à cet équilibre, et pour couvrir la totalité des frais de fonctionnement, GAI a sollicité des subventions et des dons, recueillant ainsi 64,4 millions de dollars au cours des sept dernières années. Cet argent est utilisé comme capital d’amorçage pour les nouvelles agences de GAI afin de couvrir leurs coûts au cours des deux premières années. Grâce, en partie, à cette stratégie, huit agences de GAI sont parvenues à atteindre l’équilibre financier au bout de cinq années.

GAI est sur le point de réussir à créer un modèle d’IMF viable aux Etats-Unis. Son rendement social est déjà positif, puisqu’elle a soutenu plus de 97 000 femmes depuis 2008, les aidant à bâtir leurs entreprises, à créer des emplois et à établir un historique de crédit, élément essentiel pour louer des appartements, acheter des voitures et obtenir des prêts par l’intermédiaire des banques commerciales classiques.

Avec plus de 6,85 millions de dollars accumulés à ce jour, les clientes de GAI développent leur capacité d’épargne, leur permettant d’envisager pour elles-mêmes un avenir meilleur. Enfin, cet exemple démontre deux réalités de la microfinance : d’une part, le business model des IMF du Sud est reproductible dans les pays du Nord, et d’autre part, le succès de GAI démontre qu’un avenir prometteur est possible pour une microfinance rentable, sur le plan social et financier, dans les pays développés.

Aain Lévy
Responsable Microfinance
Amériques et Asie
&
Claudia Belli
Responsable Mondiale
Entrepreneuriat Social et Microfinance
BNP Paribas

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