La révolution numérique transforme profondément le monde de la finance et force les fournisseurs de services financiers à s’adapter. Dans cet entretien Graham Wright, directeur exécutif de Microsave revient sur les enjeux, et les risques de cette transition nécessaire pour la microfinance.
Pour de nombreux experts, la digitalisation de la microfinance est essentielle à la survie du secteur. Selon vous, quels sont les avantages de celle-ci ?
La digitalisation présente au moins 4 avantages principaux.
Premièrement, elle permet aux IMF d’augmenter leurs revenus et de réduire leurs coûts. Le cabinet de conseil McKinsey estime que la transformation numérique des institutions financières permettrait d’augmenter de 45 % leurs revenus annuels nets : 15 % grâce à une meilleure pénétration des produits et 30 % grâce à une réduction des coûts d’exploitation. Selon l’International Finance Corporation, elle réduit le coût annuel du service client de 80 % et réduit de 18 % le coefficient d’exploitation (indicateur classique pour mesurer l’efficacité).
Deuxièmement, elle permet de renforcer les interactions avec les clients. Les IMF et les banques traditionnelles ont des avantages compétitifs importants par rapport aux fintech. Elles ont des relations historiques et privilégiées avec des millions de clients ; elles détiennent des données sur le comportement financier de leurs clients ; elles possèdent l’infrastructure nécessaire pour apporter la touche humaine que les clients à faible revenu recherchent. En outre, les institutions financières traditionnelles ont les autorisations réglementaires et la conformité nécessaires pour offrir des services financiers, ce qui fait souvent défaut aux fintech.
Troisièmement, elle permet aux IMF d’offrir une expérience client personnalisée. Les institutions financières traditionnelles doivent être conscientes de l’évolution du contexte démographique et culturel, à savoir l’arrivée de la génération Y et de la première génération mobile, pour développer et offrir une expérience utilisateur personnalisée de premier ordre. Une solide expérience utilisateur implique des solutions personnalisée. La manière dont elles sont présentées, doit refléter les comportements, les attitudes, et les habitudes des clients.
Enfin, elle permet d’offrir des services en renforçant l’objectif initial d’inclusion financière. À moyen terme la révolution technologique nous permet de répondre à la question que tout le monde se pose : l’inclusion financière, mais pourquoi ? La technologie permet de relier les services financiers purs à l’économie réelle. Par exemple, MSC travaille au développement de « l’agriculture de précision » en Inde. Dans le cadre de ce projet, les données sur la détention de terres par un agriculteur et la qualité du sol sont collectées, ainsi que sur les semences, les engrais et les pesticides achetés par les agriculteurs. Les chatbots fondés sur l’IA offrent un coaching sur-mesure pour optimiser à la fois les rendements et les prix pratiqués par l’agriculteur sur le marché.
… Et quels sont les principaux risques ?
Je voudrais tout d’abord dissiper le mythe de la transformation numérique. Elle ne résout pas tous les problèmes organisationnels et ne convient pas à toutes les organisations. Il est crucial pour l’organisation d’évaluer réellement ses besoins et la manière dont la technologie peut y répondre.
Ensuite, les risques liés à la transformation numérique sont évidemment nombreux, le principal étant que dans le processus de transformation, les IMF se détournent des raisons sociales de cette transformation : améliorer le rôle social de la microfinance (en réduisant les coûts d’emprunt, en améliorant l’expérience utilisateur, etc.). Parmi les autres risques figurent la prolifération inutile de produits et de services, ainsi que la digitalisation totale des services d’emprunt sans maintenir d’échanges humains.
Compte tenu de l’importance de la digitalisation, existe-t-il une stratégie à adopter pour intégrer davantage d’outils numériques de manière pertinente et efficace dans le secteur de la microfinance ?
En fin de compte, une institution financière a besoin d’une stratégie de digitalisation globale et intégrée – puis de la décomposer en éléments gérables – afin de surfer sur la vague de la transformation numérique. Se concentrer uniquement sur les processus ou les canaux ne suffira pas.
Une fois la stratégie globale définie, il existe de nombreuses sous-stratégies. La première consiste à numériser les processus : les processus numériques sont plus rapides, plus efficaces et moins chers que les processus manuels. La deuxième sous-stratégie consiste à numériser les produits et services eux-mêmes. L’arrivée (et la flexibilité) du mobile banking par exemple, impose aux IMF d’adapter leur produit pour satisfaire cette nouvelle demande. Pour autant, il convient de développer de manière flexible de nouveaux produits numériques et de les adapter aux préférences clients.
La troisième sous-stratégie consiste à numériser les canaux, en utilisant des plateformes technologiques adaptées pour améliorer l’acquisition de clients et l’expérience utilisateur. L’émergence des plateformes numériques et des canaux alternatifs a profondément modifié la façon dont les clients procèdent à leurs opérations bancaires. Les clients préfèrent désormais les plateformes technologiques en libre-service qui leur offrent liberté, choix et contrôle. En 2018, les clients d’Equity Bank Kenya ont par exemple réalisé 97 % de leurs opérations en dehors des agences bancaires.
Selon vous, les IMF doivent-elles nécessairement se digitaliser pour ne pas disparaître ?
Les IMF sont confrontées à une menace existentielle provenant de la technologie numérique, car les fintech perturbent les marchés traditionnels des services financiers, en créant de nouveaux services financiers plus efficaces et capables d’atteindre des populations généralement servies par les IMF.
Les IMF doivent donc embrasser la révolution technologique tout en exploitant le potentiel de leur expérience et de leurs relations. Elles doivent travailler avec les fintech pour fournir des services personnalisés et numériques. Et les IMF doivent apporter la touche humaine et l’assistance que tant de personnes recherchent par le biais de leur personnel et de leurs agents.
La révolution numérique permet de fournir des services financiers et sociaux rapides, réactifs et différenciés aux personnes à faible revenu, ce qui est une première. Dans ce contexte les IMF ont une réelle valeur ajoutée, car elles connaissent très bien leurs clients et leurs zones d’activités. A elles d’arriver à valoriser cette expertise, afin de s’assurer que la révolution digitale soit high tech et high touch.
PROPOS RECUEILLIS PAR
BAPTISTE FASSIN
CHARGÉ DE PUBLICATIONS &
SARAH ZEKRI
ASSISTANTE COMMUNICATION
CONVERGENCES