Sans aucun doute, la pandémie de coronavirus nous a fait basculer dans un moment historique. Sept milliards de personnes ont subi dans une même unité de temps et d’action une crise sanitaire, économique et sociale inédite bouleversant des années d’efforts et de progrès, notamment en matière de lutte contre la pauvreté et d’accès à la santé. L’effet papillon d’un virus parti de Chine, touchant tous les continents les uns après les autres en un temps record, nous rappelle avec force la nature des interdépendances entre les nations en ce début du XXIe siècle.
Simultanément, des mesures de restriction des libertés individuelles ont été prises avec la clôture des frontières, des politiques de confinement, de couvre-feux, d’états d’urgence sanitaire et la fermeture partielle ou totale de services publics essentiels.
Cette période aura sans nul doute des effets à long terme, aussi bien sur notre compréhension du monde, que sur nos manières de vivre. Force est de constater qu’il est encore difficile d’en imaginer l’ampleur. Pour autant, tout se passe comme si l’époque que nous vivons avait pour conséquence une sorte de « dissonance cognitive » brutale auprès de nombre de concitoyens, comme semblent le révéler des données récemment analysées.
Focus 2030 scrute de manière régulière les opinions et attitudes des Français sur les grands enjeux de solidarité internationale à travers des sondages dans le cadre d’un partenariat avec le University College de Londres et Birmingham University. Sans préjuger de l’avenir, notre dernier sondage a souhaité identifier la manière dont nos concitoyens percevaient cette crise inédite au moment même de ce basculement, en juillet 2020.
La pandémie, dont les causes et les conséquences semblent confirmer les interconnexions entre les enjeux traités par les 17 Objectifs de développement durable (ODD), est-elle l’occasion d’une prise de conscience citoyenne de ces interdépendances ? Est-elle un facteur de repli national, comme pourrait illustrer les mesures et les expériences de distanciation et de fermetures des frontières ? Ou bien est-elle au contraire un facteur de solidarité accrue envers les autres nations de la part des individus, à l’heure où seule la coopération internationale semble s’imposer comme solution pour ralentir la propagation du virus ?
Interrogés sur ces points selon la méthode des quotas via l’institut YouGov, les 2 042 adultes représentatifs de la population française intérrogés témoignent d’un soutien marqué à une plus grande solidarité internationale. Ainsi, 48% des répondants indiquent se sentir plus solidaires des populations vivant dans d’autres pays depuis la pandémie de la COVID-19.
De plus, ils sont 59% à estimer que l’époque est à plus de coopération internationale afin que « chacun dans le monde puisse accéder à un système de santé similaire à celui de la France ».
Lorsqu’on interroge les Français sur l’impact potentiel de la crise sanitaire, 56% d’entre eux estiment que le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté dans le monde va augmenter tandis que 51% envisagent une augmentation de la consommation de produits locaux non importés. Par ailleurs, 42% estiment que de plus en plus de femmes et d’hommes souffriront de la faim.
Quelles solutions pour répondre à la crise sanitaire ?
Pour soutenir financièrement les pays en développement les plus affectés par la pandémie, les Français plébiscitent l’idée que les entreprises multinationales qui opèrent dans ces pays payent leur juste part d’impôts (75%). Ils pensent également que la taxation des marchés financiers (56%), l’augmentation de l’aide au développement (45%), et l’annulation de la dette des pays les plus pauvres (41%) sont des solutions pertinentes.
Quand il s’agit plus précisément de répondre à l’impact sanitaire de la crise, ce soutien à une approche universaliste ne se dément pas. 76% des Français estiment ainsi que « les tests, traitements et vaccins devraient être considérés comme « un bien public mondial » au même titre que l’eau, l’air, l’environnement, la culture ». Dans le même temps, et paradoxalement, un nationalisme vaccinal émerge parmi les pays les plus industrialisés mettant en exergue une forme de « chacun pour soi et tout pour moi ».
Solidarité internationale et Objectifs de développement durable
Ainsi, il semblerait que cette période favorise l’émergence d’une conscience citoyenne de nos interdépendances et la nécessité d’une plus grande coopération internationale. Il y a donc de quoi s’interroger : les Français seraient-ils devenus des militants actifs des ODD dans cette période historique ?
Malheureusement, force est de constater que l’Agenda 2030 n’est toujours pas à l’agenda médiatique, politique et citoyen. Seuls 9% des Français affirment bien connaître les ODD, une proportion similaire à celle observée dans d’autres pays tels que les États-Unis, l’Allemagne ou le Royaume-Uni. Cette méconnaissance reflète vraisemblablement l’absence de portage politique des ODD par les relais d’opinion au premier titre desquels les gouvernements.
A titre d’exemple, l’Élysée ne les a cités que 29 fois depuis 2017 dans ses communications officielles. Cette méconnaissance traduit probablement le peu d’intérêt des médias à s’emparer d’un agenda onusien, considéré de toute évidence comme trop technique et lointain par les journalistes. Ainsi, presque aucun média français de la presse généraliste n’a couvert les cinq ans de l’adoption de l’Agenda 2030, en dépit des efforts déployés par l’ONU pour communiquer sur cette date anniversaire à l’occasion de leur dernière Assemblée générale pour mesurer les progrès réalisés depuis leur adoption.
Enfin, en dépit de la prise de conscience citoyenne en faveur d’une plus grande solidarité internationale que semble avoir suscité́ la crise sanitaire, notre sondage révèle paradoxalement que les Français ne sont guère optimistes quant à la capacité du gouvernement français, de l’Europe et même de la commuauté internationale de mener les efforts nécessaires pour tenir les engagements pris d’ici 2030.1
1 Les résultats détaillés du sondage peuvent être consultés ici : https://focus2030.org/Les-Francais-es-les-ODD-et-la-reponse-a-la-crise-sanitaire-la-tentation-de-la
Fabrice Ferrier
Directeur
Focus 2030