Les mobilisations se multiplient autour de l’urgence climatique, réclamant une transition écologique juste. La jeunesse appelle à des grèves pour le climat et au cours des derniers mois, une partie du mouvement des gilets jaunes a rejoint cet objectif dans le cadre de synergies vertes et jaunes sous le slogan : « Fin du monde, fin du mois – même combat ! » Cette prise de position est intéressante, voire surprenante, car l’étincelle qui a déclenché le mouvement de contestation des gilets jaunes a été l’instauration d’une taxe carbone, mesure répondant précisément aux enjeux écologiques. Ce qui a été reproché à cette mesure n’était cependant pas tant son caractère écologique qu’anti-social. Elle affectait de manière disproportionnée les ménages à faibles revenus, tout en proposant un accompagnement insuffisant. Combinés, ces éléments ont contribué à renforcer un fort ressentiment lié aux inégalités sociales.
Primum non nocere : rendre acceptables les dispositifs de transition
Reconnaître que nous ne sommes pas tous exposés de la même façon aux dispositifs de la transition écologique et les adapter en conséquence est donc essentiel pour une transition écologique plus juste et plus acceptable. La taxe carbone par exemple, dont la trajectoire d’augmentation a été suspendue suite au mouvement des gilets jaunes, représente en moyenne un coût de 340€ par an pour un ménage français et affecte trois fois plus les ménages à faibles revenus.
Si les politiques de transition écologique ne pourront résoudre l’ensemble des enjeux d’injustice sociale, il est primordial que leur conception n’exacerbe pas les inégalités existantes. Redistribuer une partie des recettes issues de la taxe carbone aux ménages modestes pourrait ainsi être un moyen de maintenir un « signal prix climatique », en limitant l’impact de cette taxe sur le pouvoir d’achat mais en renchérissant tout de même le coût des énergies fossiles, de façon à saper leur attractivité (ndlr : pour plus d’informations sur ce sujet, voir p.15). Favoriser l’accès aux solutions durables pour les personnes les plus vulnérables, comme l’accès à un logement consommant peu d’énergie, à des cantines scolaires bio et locales dont le coût se fonde sur le quotient familial, ou encore à des modes de transport efficaces et peu émetteurs de gaz à effet de serre sont autant de façons de garantir l’acceptabilité de la transition écologique.
Accompagner les mutations de l’emploi et de la production
La transition écologique suscite aussi des inquiétudes liées à l’emploi et aux mutations qu’elle implique pour de nombreux secteurs d’activité. En effet la transition écologique est parfois même la raison principale de la fermeture de certaines installations industrielles. C’est par exemple le cas des centrales à charbon ou nucléaires: en Allemagne, les sorties du nucléaire, actée, du charbon, à venir, montrent qu’un accompagnement est nécessaire. L’anticipation des fermetures et un travail étroit avec les partenaires sociaux et les collectivités territoriales concernées sont essentiels. L’accompagnement de ce processus avec un budget à la hauteur des enjeux est également indispensable pour trouver des compromis acceptables. La « commission charbon » allemande, qui a rendu son rapport en février dernier, a ainsi promis 40 milliards d’euros d’argent public pour soutenir les territoires et les salariés.
D’autres secteurs sont confrontés à des restructurations très importantes liées à la transition écologique. C’est notamment le cas de l’automobile, pour lequel la fermeture d’un site est souvent le résultat de plusieurs facteurs : transformations de la mobilité, scandales des voitures diesel concernant la pollution de l’air et concurrence internationale accrue. In fine, une multitude de métiers sont et seront impactés plus ou moins directement ; parmi eux, les transporteurs routiers, les personnels navigants des vols commerciaux, les agriculteurs, les pêcheurs, ou encore le génie civil des travaux publics, sans oublier les sous-traitants des activités concernées.
« Il n’y a pas d’emplois sur une terre morte. » Ce slogan, utilisé par des syndicats et des ONG lors de la COP 21 à Paris, illustre bien la nécessité de transformer l’économie et l’appareil productif. Mais il n’en rend pas moins réelles les inquiétudes des salariés des secteurs en transformation. Il manque aujourd’hui un cadre national qui permette d’anticiper les reconversions professionnelles des salariés des secteurs dont l’activité va diminuer dans le processus de la transition écologique. Afin que ces personnes puissent trouver un nouvel emploi dans un métier plus vert avant que le leur ne disparaisse, elles doivent avoir accès dès maintenant aux formations et dispositifs d’accompagnement normalement prévus pour des licenciements économiques. Ce dispositif doit être doté d’un budget public à la hauteur de l’enjeu et intégrer des investissements permettant le développement de nouvelles activités économiques dans les bassins d’emplois affectés. La création d’un tel fonds pour une transition juste est prioritaire.
Transition écologique et justice sociale vont de pair. Si elle n’est pas juste, la transition écologique se heurtera nécessairement à des oppositions légitimes. La prise en compte et la compensation de l’impact de la transition écologique sur les personnes vulnérables constitue donc un élément crucial de toute politique écologique, sans quoi l’équation entre fin du mois et fin du monde risque fort de se révéler une opération impossible.
MEIKE FINK
RESPONSABLE TRANSITION ÉCOLOGIQUE JUSTE
RÉSEAU ACTION CLIMAT