De plus en plus d’investisseurs classiques s’intéressent à l’investissement d’impact ; toutefois, cet article porte sur le groupe des plus de 200 investisseurs spécialisés communiquant leurs données au Global Impact Investing Network[1] (GIIN). Un intérêt particulier est accordé aux 90 investisseurs opérant dans les économies émergeantes (où la microfinance est en plein essor) et dont les actifs globaux frisent les 30 milliards de dollars. Il s’agit principalement de sociétés de gestion spécialisées cherchant des rendements au taux du marché, mais aussi des Institutions de financement du développement, des banques, ou des fondations acceptant des rendements inférieurs au taux du marché, opérant depuis l’Europe et l’Amérique du Nord.
L’analyse rétrospective de leurs investissement au cours de la dernière décennie montre que la microfinance et d’autres services financiers ont systématiquement été les secteurs d’investissement d’impact les plus importants avec presque 60% des actifs (respectivement 40% et 17% en 2016). L’agriculture, l’énergie et la santé arrivent loin derrière (9%, 8% et 6% respectivement). D’autres secteurs sont marginaux en comparaison.
Toutefois, cette situation pourrait changer prochainement, et ce pour 3 raisons. Tout d’abord, plusieurs investisseurs d’impact sont en train d’aligner leurs stratégies avec des objectifs plus vastes liés au développement durable (ODD), ciblant l’ensemble des 17 objectifs ambitieux visant à éradiquer la pauvreté, protéger l’environnement, et garantir la prospérité pour tous. Chaque objectif se décline en cibles concrètes qui nécessitent une forme d’investissement financier, et l’ONU estime que les besoins de financement s’élèvent à 2 500 milliards de dollars rien que dans les pays en développement. L’investissement d’impact joue un rôle majeur, en attirant des capitaux privés pouvant contribuer à remédier un grand nombre de problèmes sociétaux : la création d’emploi, le changement climatique, les énergies renouvelables et l’agriculture font notamment l’objet de beaucoup d’attention.
Deuxièmement, le marché de la microfinance arrive à maturité. Ajoutons à cela un taux de bancarisation accru[2], des établissements plus grands avec plus de dépôts et davantage concentrés sur les crédits aux PME, un renforcement de la concurrence entre les prêteurs, y compris les investisseurs locaux, et des réglementations plus strictes. La combinaison de tous ces éléments incite à élargir la portée des instruments d’investissement de la microfinance, compte tenu également des taux en baisse et d’une croissance plus lente[3].
On observe une troisième tendance liée au concept des « bonds technologiques » (soit les économies en développement qui « sautent » des technologies moins efficientes et adoptent directement des plus avancées, telles que les téléphones portables ou l’énergie solaire). Les investisseurs d’impact accordent beaucoup d’attention à ce genre d’innovations. Mais, indépendamment du niveau de percée de ces « bonds », il est évident que l’utilisation désormais répandue des innovations numériques déterminera largement le domaine de l’investissement d’impact.
Ainsi, le fait que les investisseurs en microfinance se tournent vers l’investissement d’impact est tout à fait logique, étant donné que la plupart d’entre eux sont présents dans les économies émergeantes depuis 10 à 20 ans. Ils ont développé une expertise unique qui couvre des domaines tels que l’appréhension des risques opérationnels et financiers, la connaissance des marchés locaux et du secteur financier, les partenariats avec les bailleurs publics et avec les fonds d’investissement d’impact disponibles.
Toutefois, il est important que les investisseurs comprennent que cette nouvelle vague d’excitation autour de l’investissement d’impact et de la diversification des produits doit être soigneusement examinée avant de s’y aventurer. Au niveau de la base, il faudra un peu de temps avant que le marché situé au bas de la pyramide[4] puisse absorber ces services innovants. Il faudra également du temps pour que les entrepreneurs sociaux trouvent des modèles commerciaux appropriés, créent de la demande et soient prospères.
Des investissements massifs dans l’infrastructure, les biens de grande consommation ou les projets agricoles de grande ampleur demeureront sans doute la norme dans les marchés émergeants. Mais, même s’ils contribuent grandement au développement de ces économies, ils ne répondent pas toujours aux besoins élémentaires des pauvres (par ex : amélioration des petites cliniques, augmentation de la productivité des petits agriculteurs, développement des systèmes hors réseau pour accéder à l’énergie, etc…)
Par conséquent, nous continuons de croire que la réserve de projets pour les investisseurs en microfinance dans le domaine de l’inclusion financière (par ex : financement des PME, fintech, leasing, assurance, plan de pension, affacturage, etc.) et des produits financiers thématiques (par ex : soutien aux institutions financières pour les produits d’éducation, de santé, de logement, de financement vert) est plus intéressante que les investissements directs dans de nouvelles thématiques[5].
Afin de bâtir cette nouvelle génération d’entreprises sociales en phase de démarrage et de croissance dans des nouveaux secteurs, nous proposons les recommandations suivantes : mettre à jour les données sur les capacités, connaissances et financements des investisseurs ; mettre en place des écosystèmes plus fluides et plus propices aux entrepreneurs sociaux et aux investisseurs d’impact ; reconsidérer et relancer des partenariats public privés et l’assistance technique ; maintenir la promotion du capital patient ; réduire le coût des transactions (que certains considèrent relativement élevés dans le domaine de l’investissement d’impact) grâce à l’harmonisation et aux économies d’échelle ; et enfin, promouvoir la standardisation des définitions et des indicateurs environnementaux et sociaux afin d’éviter toute dérive.
L’application de toutes les leçons apprises dans la microfinance au cours des 3 dernières décennies au secteur de l’investissement d’impact aidera à tracer la voie vers la réalisation des ODD et à attirer plus de capitaux vers l’investissement d’impact en général.
Michaël Knaute, Directeur régional Afrique et MENA, Triodos Investment Management
[1] GIIN 2017 Enquête annuelle de l’investissement d’impact, GIIN, 2017
[2] Base de données du Global Findex 2014 : Measuring Financial Inclusion around the World, Banque mondiale, 2015
[3] Microfinance Funds : 10 Years of Research and Practice, Symbiotics & CGAP, 2016
[4] The Fortune at the Bottom of the Pyramid : Eradicating Poverty Through Profits, C.K. Prahalad, 2004
[5] https://triodosimpactinvesting.com/sustainable-development-requires-inclusive-finance/