Des coopérations pour l’essor des innovations sociales

Pourquoi les entrepreneurs sociaux souhaitent-ils engager des partenariats avec le secteur privé traditionnel ? D’après le sondage de ce Baromètre, ils se lancent dans de telles collaborations principalement pour co-construire de nouveaux produits et services (61%), et dans une moindre mesure pour obtenir un soutien financier (48%). Ce chiffre symbolise bien l’ère des coopérations dans laquelle nous entrons, marquée par des partenariats nombreux et protéiformes entre des acteurs de l’intérêt général et des entreprises.

Traditionnellement, les entreprises apportaient leur soutien à des associations par le biais du mécénat – financier, en compétences ou en nature – dans l’objectif de redistribuer une partie de la richesse produite. De nombreux acteurs de l’économie sociale et solidaire ont pu ainsi se développer grâce aux dons privés, facilités dès 2003 par la loi Aillagon. Depuis, plusieurs mouvements simultanés transforment considérablement cette logique.

D’un côté, la raréfaction des subventions publiques1 a poussé le secteur de l’ESS à se réinventer, en créant des modèles entrepreneuriaux visant une efficacité économique pour pérenniser ses actions. En témoigne le nombre croissant d’entreprises sociales, et leur reconnaissance par la législation en 2014 au travers de l’agrément ESUS (entreprise solidaire d’utilité sociale).

De l’autre, les entreprises sont sommées de faire plus et mieux pour la société, à la fois par les pouvoirs publics, leurs clients, et leurs parties prenantes. Elles sont d’ailleurs de plus en plus conscientes que leur engagement est un facteur clé de différenciation et de performance de long terme. La loi PACTE pourrait offrir une concrétisation dans la législation de cette tendance avec l’élargissement de l’objet social des entreprises, quand des pionnières l’ont anticipée en devenant entreprises à mission. Les logiques sociétales et économiques ne se sont donc jamais tant croisées qu’aujourd’hui chez les acteurs du privé lucratif et non lucratif.

Ces tendances accroissent les convergences entre les entreprises classiques et les entreprises sociales, dont les pratiques et les langages se sont rapprochés, ouvrant ainsi la porte à de nouvelles coopérations. Le mécénat en est le point d’entrée, en étant souvent la première brique d’engagement des entreprises. Il constitue une phase d’apprentissage du fonctionnement des organisations d’intérêt général et un outil d’expérimentation pour agir en faveur du bien commun. Ce soutien est aujourd’hui complété par des logiques partenariales plus poussées, et la co-création de projets à fort impact social.

Le panorama 2018 des fondations et fonds de dotation créés par des entreprises mécènes, co-réalisé par EY et Les entreprises pour la Cité, montre à ce titre que les mécènes sont de plus en plus nombreux à vouloir mesurer leur impact (86%), ou à souhaiter développer leurs propres actions de terrain (45%). Ces chiffres, parmi d’autres, témoignent de la recherche d’efficacité chez les mécènes, et de leur volonté d’expérimenter de nouveaux modes d’action2. D’après cette étude, près d’un quart des fondations et fonds de dotation d’entreprises soutiennent aujourd’hui des entreprises sociales à statut commercial (SCOP, ESUS, etc.).

Avec la montée en puissance des enjeux de société au sein des entreprises, les fondations sont devenues des centres de ressources indispensables pour créer des projets d’innovation sociale et monter des partenariats avec des entrepreneurs sociaux. Leurs actions dépassent donc progressivement le seul mécénat et leur mandat initial, pour irriguer l’ensemble de leur organisation.

Au-delà des fondations, ce sont les entreprises elles-mêmes, et notamment les plus grandes, qui sont désormais dans une logique de coopération avec les entrepreneurs sociaux. Elles ont deux objectifs principaux : accompagner le changement d’échelle de solutions ayant déjà fait leurs preuves, et créer des dispositifs nouveaux répondant à des besoins non pourvus, avec des modèles économiques hybrides.

Le changement d’échelle des innovations sociales passera donc sans conteste par des coopérations avec les entreprises traditionnelles.

En matière d’accompagnement du changement d’échelle, la venture philanthropy a, par exemple, vocation à maximiser l’impact des dons. La Fondation EPIC soutient ainsi des organisations telles que Simplon.co, Singa ou Sport dans la Ville, sélectionnées sur des critères très précis, financées avec des montants importants, et les accompagne très étroitement dans la  professionnalisation de leurs pratiques et leur essaimage.

Concernant la création conjointe de nouvelles initiatives, on peut citer l’exemple de la Joint Venture Sociale (JVS) entre Vinci et Arès qui ont créé ensemble LIVA. Cette JVS est à la croisée des intérêts privés (prestations en logistique de chantier pour Vinci, et formations aux métiers de la construction pour ses besoins de recrutement) et de l’intérêt général (emploi et formation de personnes en insertion professionnelle).

Le changement d’échelle des innovations sociales passera donc sans conteste par des coopérations avec les entreprises traditionnelles. Mais au-delà d’un simple soutien, les entreprises souhaitent désormais co-construire les innovations sociales, les intégrer à leurs stratégies, et parfois en être à l’initiative. Ces collaborations vont manifestement continuer à se développer, et avec elles le soutien des entreprises aux entrepreneurs sociaux pour répondre ensemble aux défis actuels.

1. Baisse de 17% des subventions aux associations en 6 ans, d’après le « Rapport sur les stratégies des acteurs associatifs et proposition pour faire évoluer les modèles socio-économiques des associations », KPMG, Janvier 2017.
2. Chiffres issus du « Panorama 2018 des fondations et fonds de dotation créés par des entreprises mécènes », EY et Les entreprises pour la Cité.

Simon Bitaudeau
Responsable mécénat et investissements citoyens
Les entreprises pour la Cité

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