Le nombre de personnes déplacées de force dans le monde a atteint le chiffre record de 70,8 millions en 2018, comme le montrent les données récemment publiées dans le rapport annuel du Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR). Au sein de ce groupe, le nombre de réfugiés (définis comme des personnes déplacées en dehors de leur pays d’origine à cause de la guerre, des persécutions et des conflits) a atteint 25,9 millions, soit 500 000 de plus qu’en 2017.
Dans ce contexte, l’intégration socio-économique des réfugiés représente l’une des principales solutions durables à la crise migratoire. Le secteur financier a un rôle fondamental à jouer pour garantir que les réfugiés ont accès à toute une gamme de services financiers et non financiers. Pourtant, très peu de fournisseurs de services financiers (FSP) ont jusqu’à présent étendu leurs services à cette population défavorisée, la considérant souvent comme un segment de marché « trop risqué ».
Pour mieux comprendre les besoins financiers des réfugiés, la Fondation Grameen Crédit Agricole (FGCA) a commandé une étude de marché en Jordanie et en Ouganda, réalisée par le cabinet de conseil Microfinanza. Cette étude constitue la première étape de la mise en œuvre d’un programme conjoint entre l’Agence suédoise de développement et coopération internationale, le HCR et la FGCA, destiné à élargir l’accès aux services financiers et non financiers pour les réfugiés et les communautés d’accueil en Jordanie et en Ouganda.
Les conclusions de cette étude mettent en lumière cinq recommandations principales à l’attention des fournisseurs de services financiers (FSF) qui souhaitent contribuer à l’inclusion financière des réfugiés.
- Les réfugiés n’ont pas besoin de produits financiers spécifiques.
Cette recommandation peut sembler surprenante, car les réfugiés sont souvent considérés comme une catégorie sociale distincte avec des besoins spécifiques. Pourtant, l’étude démontre que de nombreux produits financiers sur le marché répondent déjà aux demandes identifiées auprès de clients réfugiés. Les IMF peuvent ajuster leurs politiques et procédures internes par rapport aux exigences en matière d’identité et de garanties, mais il n’est pas nécessaire d’avoir des « produits pour réfugiés » exclusifs pour répondre correctement à la demande.
- Comprendre de quel type de crédit les réfugiés ont besoin dans un domaine précis, et de quel montant.
Si les réfugiés ougandais et jordaniens empruntent régulièrement auprès de groupes d’épargne, de leurs amis et de leur famille, ils ne sont pas en mesure d’emprunter suffisamment pour couvrir leurs besoins professionnels. Nombre d’entre eux souhaitent avoir accès à un crédit officiel, préfèrent des emprunts individuels, et la plupart sont prêts à payer des intérêts.
L’enquête a également révélé la nécessité de financer les produits d’énergie verte dans les camps, et mis en évidence le potentiel des services financiers numériques, déjà utilisés par les réfugiés dans les deux pays. En Ouganda, où les terres sont raisonnablement disponibles pour les réfugiés, il existe également une demande de produits agricoles, tant pour les particuliers que pour les entreprises à la recherche de produits agricoles bruts. Comme pour les clients réguliers, il est essentiel que les IMF interagissent étroitement avec les réfugiés pour mieux comprendre leurs besoins et leurs préférences.
- Examiner les projets entrepreneuriaux des réfugiés.
En Ouganda, 78 % des réfugiés interrogés envisagent de créer ou de développer leur propre entreprise, et 60 % ont déjà fait les premières démarches – en se servant de leurs économies, en empruntant de manière informelle et en s’inscrivant à des formations professionnelles. En Jordanie, la plupart des réfugiés préfèrent créer leur propre entreprise plutôt que de chercher un emploi dans les quelques secteurs ouverts aux non-Jordaniens. En termes de segmentation entre les genres, environ une femme sur quatre interrogée en Jordanie a un projet solide pour démarrer ou développer sa propre entreprise, principalement basée à domicile. Ce chiffre est encore plus élevé en Ouganda, où une femme sur trois souhaite créer sa propre activité.
- Surmonter la crainte que les réfugiés partent. Les données montrent qu’ils se réinstallent rarement ailleurs.
Le risque de départ est une préoccupation souvent évoquée par les IMF lorsqu’il s’agit d’envisager les réfugiés comme un marché cible potentiel. Toutefois, notre étude montre que la grande majorité des personnes interrogées n’avaient pas l’intention de retourner dans leur pays d’origine ou de se réinstaller dans un autre pays. Les réimplantations dans le même pays sont également rares, d’après cette étude. Les réfugiés aspiraient plus à accéder à l’indépendance économique qu’à s’installer dans un nouvel endroit. Entre 2014 et fin avril 2018, seuls 5 % de la population de réfugiés enregistrée en Jordanie et 1 % en Ouganda se sont réinstallés ailleurs1.
- Envisager de fournir des services non financiers pour compléter l’offre de crédit.
Dans les deux pays, les services non financiers (principalement l’éducation financière et l’accompagnement à la gestion d’entreprise) sont particulièrement utiles aux réfugiés ayant une expérience limitée ou inexistante du crédit ou de la gestion d’une affaire. Les IMF doivent appliquer leurs procédures de segmentation des clients pour évaluer quels réfugiés peuvent avoir besoin d’une prestation de services non financiers. Pour mieux comprendre leurs besoins, il est très important que les IMF s’associent à des ONG spécialisées qui proposent ces services.
Les études démontrent clairement que le nombre croissant de réfugiés devrait être considéré par tous les acteurs de la microfinance comme un nouveau marché et une réelle opportunité de promouvoir l’inclusion financière. Pour les réfugiés eux-mêmes, ce pourrait être l’assurance d’être pleinement intégrés dans l’économie de leur pays d’accueil.
1 UNHCR resettlement data, http://www.unhcr.org/resettlement-data.html#_ga=2.19545528.1017050701.1540310607-1116228831.1539297281
* Cet article est tiré d’un blog écrit par les auteurs et publié sur le site de PortailFindev.
MICOL PISTELLI
COORDINATEUR PRINCIPAL
DE L’INCLUSION FINANCIÈRE
HCR &
PHILIPPE GUICHANDUT
DIRECTEUR DEVELOPPEMENT
FINANCE INCLUSIVE
FONDATION GRAMEEN
CRÉDIT AGRICOLE